Coup d’œil sur « Gestalt » – oct. 2013 par Dominik Reinecke
Issue de la psychanalyse, la Gestalt-thérapie ou simplement « Gestalt » est née aux États-Unis en 1951 avec la parution de l’ouvrage fondateur « Gestalt-thérapie, nouveauté, excitation et développement »*, synthèse originale de divers courants psychologiques et philosophiques avec comme paradigme révolutionnaire le « Self en tant que processus ». La démarche gestaltiste est pragmatique et expérientielle.
Vouloir expliquer par la parole la saveur d’un fruit, comme celle d’une pomme, est une entreprise impossible. Une pomme ne peut être « comprise », savourée, qu’en étant croquée. C’est ainsi que Fritz Perls, le père de la Gestalt-thérapie, illustre l’importance de l’expérience vécue. L’approche gestaltiste est fondamentalement expérientielle. Ceux qui s’y engagent « croquent la pomme » : ils approfondissent la conscience de soi (et conjointement la confiance en soi) dans « l’ici et maintenant » de l’espace thérapeutique ; ils explorent par voie « d’expérimentation » et entrent en contact direct avec les facettes peu ou pas connues de leur personnalité, environnement et histoire. Ce n’est qu’au cours de l’expérience vécue, ou à la suite de celle-ci, que la compréhension cognitive et la parole peuvent émerger et prendre sens. L’expérience vécue est le fondement du travail en Gestalt-thérapie.
Gestalt est un mot allemand étymologiquement dérivé du participe du verbe stellen (mettre, poser, placer) : gestellt, donc : ce qui est placé.
Son sens en allemand est d’une polysémie complexe, sans équivalent dans la langue française.
On peut s’en approcher en le traduisant – selon le contexte – par ensemble significatif, figure (qui se détache du fond), forme et structure, entièreté, essence, globalité etc. Il véhicule l’idée d’un tout qui ne saurait se résumer à la seule addition de ses parties – à l’opposé de la pensée analytique qui, elle, isole les parties pour les examiner séparément. Le mot Gestalt évoque les notions d’intégration et d’unification, d’ensemble considéré comme une synthèse originale ; il renvoie à une vision holistique en ce qu’elle a de caractéristique et spécifique. Si l’on perçoit par exemple une silhouette dans le lointain, l’éloignement empêche de voir les détails, on ne voit qu’un tout, à savoir une forme, un contour, ce qui fait figure : peut-être un randonneur avec son sac à dos évoluant sur la crête d’une montagne, une Gestalt. Ou une constellation de nuages dans le ciel perçue comme un visage. Le mot Gestalt renvoie à l’abstraction et la mise à distance, une perception structurante de l’essentiel qui crée du sens. Un autre exemple : trois points représentés à égale distance sur une feuille de papier sont généralement perçus comme les pointes d’un triangle : une Gestalt. Les cotés du triangle (non représentés sur le papier) sont spontanément imaginés, le sens est mentalement créé. La perception structure le monde en ensembles significatifs, en Gestalts.**
En psychothérapie la perception d’une Gestalt ne se limite pas au champ visuel, elle comprend l’ensemble des champs perceptifs et tout particulièrement celui des désirs et des besoins.
* Perls, Hefferline, Goodman « Gestalt Therapy, Excitement and Growth in the Human Personality »
** Intraduisible au risque de perdre l’essentiel de sa polysémie le mot Gestalt a été assimilé en français comme néologisme, souvent avec la première lettre en majuscule, à l’allemande, et avec le « s » de la terminaison française pour le pluriel. Ce qui donne « Gestalts » en français alors que le pluriel en allemand est « Gestalten ». Toujours en allemand, écrit avec un g minuscule (gestalten) c’est un verbe : créer, mettre en forme, donner sens, etc. Le substantif « Gestaltung » renvoie au processus de création tout comme il désigne l’aboutissement du processus, sa mise en forme. Ce mot est fréquemment utilisé dans le contexte de la création artistique.